Tangage sur un même bâteau

Brûlure fraîche emplit ses poumons comme eau salée descend dans les organes. Il tire sur ce simulacre de calumet roulé dans une feuille de gomme arabique géante. Il inhale expire des volutes qui s’enroulent dans son estofoi et se déploient en fulgurances prophétiques dans son cerveau où bourgeonnent les arborescences du passé. Le béton rugueux sous sa peau en kap kap semble le happer vers des époques lointaines d’angoisses séculaires.

Le voilà dans la nef qui vogue sur le gouffre et déchire les épidermes, avale les hurlements et dévore les prières en ricanant. Sur le pont les bottes martèlent leurs têtes sous le pont.

BADAM BADAM

Leurs tournées-virées font craquer les os, les chaînes dans le mélange aigre des sudations fiévreuses, du pissa froid et du caca tremblade. Tenter de soulever la lourdeur du poignet gauche et faire mouvoir son gros doigt de pied engourdi. Talon, coude, tête, sont-ce les membres de son corps, unis ou désarticulés ?
Le tangage fait bouger les carcasses inertes baladées, de bas en haut et de gauche à droite tout en même temps. Plus de bile à vomir, l’estomac s’est vidé comme une chaussette qu’on a retournée

Un franciscain que j’ai rencontré sur le continent nègre, dans un port humide et chaud, m’a dit un jour qu’il avait lu dans un de ses manuscrits bénis que le Seigneur n’était pas certain qu’on puisse les considérer comme des hommes. Moi je suis chargé de sortir ceux qui le peuvent encore de la cale. Jamais en groupe, toujours un par un. Pour eux nous chantons des airs de Bretagne afin qu’ils dansent. Les chaînes à leurs pattes rythment nos mélodies d’ivrognes, créant d’étranges mélopées bleutées. D’autres sont chargés de remonter des seaux d’eau salée pour rincer leurs plaies et leurs excréments. Chier. Saigner. Ces créatures de dieux sont-elles différentes de nous ?
Le soir quand ils délirent tous d’une même fièvre, nous venons faire le tri de ceux qui sont plus froids et moins moites que les autres.

« Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire.
Le temps qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli »
Pas d’autres tombeaux les mâchoires se replient.

J’avale extirpe une dernière bouffée et ferme les yeux sur ce monde qu’on ose parfois appeler paradis. Ici rien de pure que la clarté du jour pour m’éveiller d’une nuit de songes embrumés.

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