L’Exposition de la brèche

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Il y avait ce malaise qui faisait qu’on s’observait davantage qu’on ne regardait les murs, ceux qui se croyaient habitués, se donnaient une contenance en ne guettant les réactions des autres que par leur vue périphérique. Fallait-il attendre ?
Pour un vernissage il n’y avait pas beaucoup de discours, même aucuns et, à part le barman à écarteur d’oreille, la jeune fille qui collectait les invitations et le garçon qui distribuait les billets devant la corbeille à dons, aucun représentant de l’organisation. L’ouvreuse ravalait discrètement son doux ricanement. Enfin il fallut bien admettre qu’il n’y aurait pas plus de cérémonie
Alors nos rythmes commencèrent à se différencier. On arpente de grandes salles sur les murs desquelles nous étions invités à dessiner, quelques visiteurs s’imaginant grapheur tentaient les bombes. Il y avait des photos tirées en noir et blanc : autour d’une table deux, trois personnes, cinq ou six, une dizaine de verres et de nombreuses bouteilles dont l’angle de la photo ne permettait pas de juger de la contenance. Cet appartement revenait souvent sur les photos, la table basse aussi, on observait cependant qu’entre 2017 et 2018, les locataires avaient fait l’acquisition de nouveaux poufs, ainsi à mesure que leurs nombres grandissaient, ils ne manquaient que rarement de place où s’asseoir. Les protagonistes changeaient assez peu, quelques guest parfois sans doute car on ne connaissait pas leur nom avant de les lire sur la plaquette.
C’est un grand hangar, au plafond écroulé aménagé en préfabriqué, un regard vers le ciel vous fait comprendre pourquoi l’exposition « s’achève à la tombée du jour ». Sur le mur d’entrée en #999999 sur blanc on lit un historique du laboratoire, comment, en l’espace de quelques mois le nombre de membres était passé de deux à cinq puis sept. Une explication du début du projet, du climat politique en Europe et de l’paxamerikana des années « de grâce » qui virent l’érection du centre de recherche. Ici, nous sommes un peu déçus, on aurait souhaité un peu plus de biographique, de contexte (c’était un peu flou), d’autant qu’à propos de cette période le web et les historiens sont peu loquaces, seul les rumeurs fantomatiques de quelques slogans nous parviennent, glaçants de mélancolie. Je me console à la vue du plan qui indique qu’après cinq salles de présentation générale et commune, une salle est dédiée à chacun des membres du collectif.

La sixième salle imitait le ton patronising, comme on dit dans la langue de Shakespeare [rire] du Sous-Lieutenand :

« À une époque où l’on visite Ikea comme ces ex-hôpitaux de religieuses, pour observer les collections privées d’un généreux philanthrope, le dispositif lui-même est un hommage à cette époque de confusion entre le meuble, l’œuvre, et le ready-made (les vieillards s’exclament trouvant cette analyse d’une étonnante perspicacité) Enfin le collectionneur est reconnu comme artiste à part entière de par le fait même d’acheter et de mettre à disposition du public son exposition (le choix du prix du ticket faisant office de sélection des participants, dès lors d’un choix de scénographie) ! De même certaines pages internet n’existent sur les réseaux sociaux non pour partager du contenu, mais pour le simple fait de s’abonner (la stupidité du contenu “chaque jour la même photo de Jacques Chirac” ayant le statut d’une plaisanterie parodique actualisée par le like) Avez-vous vu comme il acheta si cher cette croûte en montant seul le prix, afin d’exposer l’inanité du marché de l’art ? — Ouiouiouitrèsintéressant. » À ma gauche j’entendis l’homme, qui de salle en salle devant chaque photo disait d’un air aussi pédant que mystérieux « Ce n’est pas celle-là non plus ». Il expliquait à son camarade, sans doute aussi pudibond que lui, à l’intention de toute l’assistance : « Je cherche la photographie où le compagnon du Sous-Lieutenand vit, après coup lorsqu’il jeta un œil sur l’écran de son appareil, S1mio et le Sous-Lieutenand en train de s’embrasser. Sans doute ne souhaitait-il pas qu’on le sache cocu ! » Comme il riait sous cape, je poussais un soupir expressif et feuilletais avec affectation le catalogue de l’exposition (beaucoup trop cher et bavard au demeurant).
Je m’y entretenais avec un homme sans doute amateur de philosophie sur celle du Sous-Lieutenand’ès Pontif, à laquelle il daignait à peine donner pareil dénomination, « Ce n’est au fond que des récapitulations sommaires de Greimas, Ricœur, Derrida et Deleuze mal digérés. En somme, du Heidegger de seconde main. Il faut cependant reconnaître quelque art rhétorique dans la subversion des concepts ordinaires du discours médiatiques de l’époque… »
exposait sa bibliothèque négligemment mise en scène et même : sa commode où il stockait à côté de ses chemises (froissées, cela va de soi) des monticules de brouillons archivés avec le plus grand soin (Au regard de

La salle 7 où les cahiers de S1mio-mustyk constituent une récapitulation érotique de ratures et de griffonnages illisibles).

Par un casque à jumelle accroché au mur on peut profiter d’un document multimédia. On y entend une interview en anglais over-dubbée en français. Le doublage, complètement décalé est très mauvais, on dirait qu’un random guy a été choisi pour lire un texte qu’il découvre, peinant à mettre le ton en début de phrase avant de se rendre compte que la fin n’était pas celle qu’il supposait : « Quand j’écris, je suis comme ces guitaristes qui marchent pour garder le rythme… Je ne vous dis pas combien de kilomètres j’ai dû parcourir en restant assis sur mon canapé (rire) » Également quelques reliques. La première feuille entre deux notes irrégulières et baveuses où se trouvait la première signature sous le nom de Simio Mustik daté du II IIII 16. Difficile à lire, irrespectueuse pour les marges à peine pour les lignes, semblait un papier à peu près aussi accidentellement retrouvé dans une bouteille de vin daté 1832 que faussement dénué d’égard pour la postérité. Plus surprenant néanmoins poignant on trouvait le couteau de cuisine avec lequel après avoir longtemps coupé ses légumes il avait appliqué le même traitement à ses veines. Comme je feuilletais alors ses budgets .exel je ne manquais pas la performance improvisée d’un jeune exalté qui répéta le geste et éclaboussa les murs de l’exposition de son sang sous un tonnerre d’applaudissement ! C’était décidément le clou du spectacle, improvisation si parfaitement chorégraphiée que l’on en venait à se demander si elle n’était pas sciemment programmée pour l’inauguration.

Entre les salles 7 et 8 : le Basquiat qu’Yssam et S1mio avaient acheté ensemble, autour duquel ils s’étaient, d’après la plaquette, disputés, d’une part car ils se disputaient souvent, d’autre part car lorsqu’il leur fallut rendre la villa par manque d’argent chacun voulait l’emporter chez soi.

Et salle 8, Je m’interrogeais quelque temps devant la présence, à côté d’un Keith Haring dont Yssam et sa compagne avaient fait l’acquisition, d’un poster promouvant un film où des jeunes filles dénudées tiraient la langue sous un 9 mm des plus clinquant. Ce ne devait être qu’un blockbuster de l’époque, aujourd’hui tombé dans l’oubli servant à corroborer la fiction « d’écrivains trash » que la Brèche a, fort injustement si vous voulez mon avis, acquise. Si l’on tendait l’oreille on pouvait entendre « pour nous, il ne s’est jamais agis que de faire »

À l’entrée de la Salle 9, Il y a une superbe photographie d’Alg’XYA9cSwampsonII. Un vieil homme de 35 ans barbu à casquette américaine qui cultivait sa ressemblance avec Charles Bukowski. Il en avait cinquante quand les auteurs de la brèche avaient fait l’acquisition de la superbe villa bohème grâce aux très importants revenus de Mangr0ve et des publications traduites en 146 langues. Certains s’extasient devant une photo que le compagnon d’ès Pontif avait prise, on y voit Alg’XYA9cSampsonII lisant Joyce dans la baignoire. (Les légendes racontent qu’il y passait presque dix heures par jour (prétendant craindre pour sa vie), au point qu’une douche avait dû être installée dans la cour (ce qui avait valu une réputation d’exhibitionnistes anarchistes au reste de la troupe)).
L’on sait ma méfiance à l’endroit de La Lettre d’XYA9c, où dans ses délires paranoïaques à propos des agents télépathes de la CIA, les doctes s’accordent à lire une théorie de la littérature très précise et précieuse, je recommande le passage où il propose de déchirer le Basquiat en deux comme illustration de la vanité et contradiction par le geste de la finitude de l’œuvre (à laquelle S1mio et ès Pontif malgré les apparences, étaient très attachés).

La salle 10 réservée à Willwall,
Malheureusement la dernière que je pus visiter en détail le dépeignait comme un immigré sybarite sans le trop-plein de sous, donc en demi-teinte, à la fois bon vivant et se réfugiant chez ses proches parents lorsqu’arrivait le moment de conclure ses travaux. De toute la bande, si l’on omettait les supposés guest, il était seul à regarder les photographes en souriant, à manifester la joie simple de prendre une photographie. Le Sous-Lieutenand est à peu près toujours les bras écartés en pleine déclamation sous le regard de l’assemblée qui, outre quelques microconversations parallèles, écoute d’un air sceptique, entendu, ou simplement réfléchi Le will écrivit peu de son vivant. Victime d’un hack à la fleur qui le zombifia trop tôt, c’est-à-dire plus tôt qu’au naturel, il dégénéra progressivement, et si à l’époque même égaré le zombvie continuait à tabasser de la lettre, aujourd’hui le voilà presque éteint, il erre dans toutes les sphères et fouille, avec comme seule idée de retrouver le deuxième A de son nom; deuxième A que le S1mio n’entendit pas et pour cause, Willwaall bredouillait, lors des premières présences effectuées en classe. Pour l’anecdote, sachez que s’il vous prend une envie d’aller au toilette vous verrez une photographie de lui, capuche baissée sur la cuvette. Deux écrans, dans le premier il dit tranquillement : « La première fois que j’entendis parler de la Brèche, je rencontrais S1mio qui déblatérait au sujet d’un projet de site internet incompréhensible. Je pensais alors à mon propre site, et il me proposa de participer. Lorsque je le revis, mon site était en ligne et j’avais oublié son histoire. Il n’était pour moi qu’un gars bourré en soirée un peu trop excité, je découvrais quelques instants plus tard qu’ils propulsaient le soir même leur projet sur l’hébergeur. Imaginez donc ma surprise, il me semblait qu’une telle opération ne décollait qu’au son du bouchon ôté d’une bouteille de champagne, je fus ainsi pris de court et dû surmonter la déception causée par l’opportunité manquée de boire à leurs frais, pour enfin accepter leur chère invitation ». Dans le second écran, ronflant, on l’entend dire, ou tenter du moins : « rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr ». Il était important que les deux aient droit à la parole.

On ne saurait trop recommander à l’auditeur de qualité de programmer sa visite tôt dans l’après-midi, afin d’en être sorti avant vingt-deux heures car c’est à peu près à cette heure que j’interrompais ma visite, chassé par des punks à chiens qui prétendaient « connaître les artistes » jugèrent bon de se jeter, à grand renfort d’exclamations et d’éclats de rire, sur les petits fours (au passage franchement médiocres, mais « nobody’s perfect ») et le champagne (d’une qualité convenable). L’exposition ne parvient cependant pas à dissiper complètement l’obscurité qui entoure ces poètes, sans doute n’était-ce pas l’intention première, mais à force de s’autocommenter de salle en salle, tout cela manquait cruellement d’élément biographique. Par ailleurs, si l’idée de permettre aux visiteurs de désacraliser les panneaux était bonne, elle vient nuire à la charte graphique de l’exposition qui s’en trouve parasitée. C’est dommage.
Septuablablaphoros Naïphos, Le Miniouk Livre, émission du 18 janvier 2061

Overhaul c’était une bonne expo pour compléter la lecture des œuvres. Elle plaira autant aux fans qu’aux néophytes même si ceux-là risquent d’être un peu rebutés par le sang (et l’odeur) du jeune homme qui s’était ouvert les veines. En plus, point positif : il y a des réductions familles et seniors, mais pas chômeurs ou précaires puisqu’avec l’avènement de la République Démocratique de la Brèche le travail n’existe plus, et par voie de fait, le chômage et l’exploitation de l’homme par l’homme non plus.
Poil à Gratter, À la Page, « L’expo du mois #12, Exposition de la Brèche », billet du 12 février 2061, consultable en ligne http://alapage.fr/expo-du-mois/12.html

Les photographies n’étaient si intéressantes que leurs commentaires. En effet, dans sa chronique M. Septuablablaphoros5 mentionne une photographie de S1mio et William Willi, « parlant sans doute philosophie » dans une pizzeria miteuse, et s’interroge : « D’après les couverts, ils n’étaient que deux. Dès lors qui a bien pu prendre cette photo ? ». M. Septuablablaphoros est bien de son époque : il est tant habitué au smartphone qu’il ne peut imaginer que le photographe puisse ne pas apparaître sur son œuvre. L’exposition de la Brèche traitait d’une époque qui, dans les références même des esprits éclairés, n’existait déjà plus. Et si ses auteurs avaient pris soin de ne tirer que des photographies en noir en blanc pour donner un effet « daté » à l’exposition, l’effort semble aujourd’hui vain au vue de pareils commentaires.
Willi Jean, Conscience et surconscience mises en scène dans les expositions des années 60-70, Ardis, Presses Universitaire du Marais, coll. « Histoire de la littérature muséographique », 2088, p. 125

Commentaires :

  1. Sous-Lieutenand'ès Pontif says:

    « Merci à toute l’équipe » pour avoir étoffé le contenu de leur « salle » respective.

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