L’homme sans rêve
- ParYssam Rulco
- Oct, 19, 2017
- Nègre
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Il s’agit de l’homme sans rêve. Ou plutôt de l’homme à qui les rêves ont été dérobés. Quoi de pire quand on y songe, qu’un homme qui ne peut plus rêver. On le voit, le soir, dans les ruelles, qui rode de façon inquiétante pour les bonnes gens, les yeux rougis, par les substances disent les uns, par l’existence disent les autres, par les deux dirait-il s’il le pouvait. Il y a longtemps qu’on passe à côté de lui en journée, sans le voir ; on ne sait plus ce qui est sa couleur de peau, ce qui est la crasse qui le recouvre, tout ce dont on est sûr : il est noir. Le passant pourrait croire à une statue en le voyant immobile sur le bord du chemin. Seulement il lui arrive d’éructer son haleine de rhum à la gueule d’un tel qui l’a regardé d’un peu trop haut, ou d’un tel qui s’est trop approché. En le voyant, beaucoup croient en un clochard usé par le cagnard de ces contrées. Les enfants qui posent des questions sur cet être étrange et inquiétant se voient même répondre qu’en voilà un à qui il ne faut pas parler, prêter attention, surtout pas donner d’argent. L’argent ça sert à acheter à boire aux clochards. Pourtant un jour ma grand-mère m’a dit que le fou n’est pas toujours celui qu’on croit, celui qui marche à quatre pattes dans les rues au moins peut-être cherche sa raison.
Cet homme dans la croisée du chemin attend. Un songe, un jour, l’a quitté comme on enlève un caleçon. Ce rêve plus que celui d’un homme est celui d’un peuple non pas pour sa dignité ou pour son histoire.
Qu’est-ce que tout cela après tout ?
Non.
Il s’agit d’un rêve pour une histoire,
juste une seule,
celle d’un jeune homme :
une peau bois d’ébène ; des lèvres pourpres comme la pourriture du vin le plus noble ; la musculature d’un félin bipède. Sur la plantation, tout le monde le savait, aucune beauté mâle n’égalait la sienne, ce qui n’était pas sans inquiéter sa mère : trop beau pour son propre bien. Aucun de ses livres d’alors n’avait décrit un telle beauté chez un homme. Comment aurait-elle pu ne pas le remarquer, elle la fille sous son ombrelle, elle la fille de Monsieur et de Madame ?
Elle le remarqua d’abord à sa démarche chaloupée. Innocemment, un jour, elle s’approcha de lui. Voyant son front en sueur, c’est encore elle qui lui offrit le petit peu d’eau qu’elle avait récolté au puits. C’était le premier mouvement d’une danse périlleuse, une danse qui, aussi belle qu’elle fut, ne pouvait échapper aux millier d’yeux et paires d’oreilles de la plantation. Longtemps on se demanda qui avait été jaloux, qui avait voulu obtenir les faveurs du maître pour un peu de maïs en plus, qui avait levé le voile sur l’inconcevable et pourtant évidente union, pour passer une semaine la bedaine bien remplie.
Peut-être les amants,
ayant été convaincus par la douce chanson de leur corps que leur folie était en fait légitime,
avaient-ils oublié d’être
prudents au moment de se retrouver
pour leurs amours nocturnes.
C’est en tout cas lors de l’une de ces nuits que le rêve fut dérobé. Sans qu’ils s’en soient rendus compte, Monsieur marchait sur leurs talons. Les amants furent surpris et leurs fantasmagories nocturnes prirent fin. Nous passerons sur la violence des châtiments réservés au fautif ou l’opprobre jeté sur la fautive, dépeints mille fois ailleurs avec la netteté qui s’impose. L’important fut moins dans les faits que dans leurs effets. Avec l’utopie des amants de la nuit c’est un rêve qui a quitté cette terre.
Alors l’homme dans la croisée des chemins attend. Comme son aïeul, l’existence l’a puni de son orgueil, lui qui osa désirer l’indésirable, c’est-à-dire ce que la société ne voulait pas qu’il désire. Un tel dit qu’il voulut acheter une case, une telle prétend qu’il s’était agit d’un carré de terrain, un autre encore ose affirmer qu’il a eu des vues sur une femme blanche. Personne ne sait mais tout le monde a son histoire sur l’homme sans rêve.
Fragments du moment #15, Références et plagiats
- Béni celui qui réveille les puits endormis car il puise à la source des songes.
- Cha va mal finir cthistoire je sens qu’à la fin il y en a un qui va finir cloué sur un grand bout de bois.
- La soirée du siècle on en parlera encore deux/trois milliers d’années plus tard.
- Le RSA pour un poète semble les prytanées modernes.
- Enchanté, pauvre, c’est ma profession.
- Zizi zizi y a des zizis dans mon pompier !