Apologue aux poissons

Encore un mythe de conte africain, que les nègres modernes que nous sommes tous pourront se raconter pour se persuader que le monde est ce qu’il est car une histoire a été écrite pour le justifier, du moins l’expliquer. Car il fait bien longtemps que plus personne ne croit que les histoires permettent de saisir.
Mais cette fois ce n’est pas ce taré de singe (re)vendeur de salades aux hamburgers et/ou vautours métaphoriques .c’est moi, qui parle. Je tire la bandoulière pour incliner le canon de mon fusil-mitrailleurcesse de craindre pour ta vie lorsqu’Ès Pontif parle! et sur la paume de ma main allongée en un subtil mais non moins significatif parallélisme avec la terre et le ciel (tels qu’on se les représente et non tels qu’ils sont) : je saisis les phrases de ma logorrhée anticipée une à une, j’y improvise la farce des hommes. Car c’est bien cela, n’en doute pas, mon sujet. Je vais t’entretenir de pourquoi nous sommes ici-bas les plus méprisables et les plus ridicules des primates. Et que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il les tende ! #plagiat

Il était une fois.

Une tribu pas beaucoup plus pire que les autres, pas beaucoup plus mieux non plus. Dans une grotte, et, chance inouïe(!), il y poussait des champignons délicieux : il suffisait de se baisser pour se nourrir. Les jours passaient et le temps suivait son cours il semblait que l’on avait autant d’heures devant soi que l’on en avait derrière si ce n’est plus.
Mais un jour on se rendit compte que les champignons diminuaient. C’est con (se dirent les troglodytes) et très vite tout le monde se barricade et très vite l’on se bat pour arracher sa subsistance et très vite ce sont les forts qui remportent la mise. Ce n’était pas très gai, mais ma foi, une manière comme une autre de répartir les ressources de décider qui vivrait ou non.
Les troglodytes qui n’avaient jamais mis le pied dehors, n’imaginaient même pas que l’on puisse y trouver autre moyen de se nourrir.

Les jours passaient, la vie un combat le combat une vie et rien n’eût contrecarré le pouvoir des forts si ce n’est :
l’un d’eux, peut-être plus aventureux, sans doute un peu plus malin que les autres, en tout cas l’un des plus faibles car c’est bien sa condition de faible qui le poussa à tout risquer, mettre un pied dehors.
La lumière éclatante, l’air frais les arbres les bruits les odeurs tout cela l’étonna beaucoup et l’émut profondément, mais la faim, rarement maîtresse du sublime l’incita, plutôt qu’à s’extasier en vaines contemplations, à chercher ce qu’il pourrait bien manger.

Plusieurs jours.

Le voilà qui revient dans la grotte les bras chargés de poissons. Il explique : cela se mange, ça ne vaut pas les champignons mais ça se mange.
On lui demande d’où lui vient pareille richesse. L’astuce lui commande de ne pas donner la source de sa découverte
il dit « c’est Dieu qui me les a donné
— Pourquoi ?
— Car je suis un grand sorcier, il a dit, Dieu.
C’est là la première morale de notre histoire : le sorcier a un secret.
— Oh oui vraiment ?
— Ouuuii, Dieu me les a donnés car il a dit que j’étais un grand sorcier ! Et qu’il faut m’obéir si vous voulez des poissons !
— Ah oui ? Qui est ce dieu dont tu parles ?
— C’est le dieu des poissons ! et désormais ce sera le nôtre et je serai son prophète !
— Et qu’a-t-il dit d’autre ce dieu de la poiscaille ?
— Il a ditque tu devais me donner ta femme.
— Mais c’est n’importe quoi ! Qu’est-ce qu’il en a à foutre que je te donne ma femme le dieu poiscaille ?
— ¡Ah t’as pas faim ?! »

Deuxième morale : quand y a un secret, c’est qu’il y a un truc louche, c’est que quelqu’un veut te piquer ta femme. Et bonus : La faim pousse les hommes non seulement à s’entre-tuer mais à s’entre-donner. Aussi,
tous se soumettent au sorcier.

Si ce n’est :

Le plus fort de tous, qui à force de cogner pour avoir plus de champignons, rendu familier des voies du pouvoir sent l’entourloupe et surtout voit qu’il est en train de perdre la main. La perte rend subtil.
Alors un lendemain ou deux plus loin, lorsque le sorcier s’en va « prier Dieu poiscaille », il le suit. Et depuis un buisson touffu (les buissons dans les histoires sont toujours touffus c’est là le secret d’une bonne histoire) il vit le sorcier s’approcher d’une rivière se pencher et en tirer les poissons. La brute (appelons-le ainsi) aurait pu se dire que la rivière était un dieu et que seul le sorcier pouvait y trouver des poissons et l’histoire s’arrêter là mais la brute ne se dit rien du tout ; plutôt, surgit de son buisson touffu et s’exclame AhAh! tu as menti, je vois bien que la rivière n’est pas un Dieu des poissons et qu’il suffit de se pencher pour en ramasser ! Je vais le dire à tout le monde et te bastonner au passage : je suis fort et tel est mon bon plaisir !

Attends. dit le sorcier. Attends. et lui explique l’évidence cyclique des passations violentes.
Tu peux en effet le dire aux autres et me bastonner car tu es fort et que tel est ton bon plaisir. Alors tout redeviendra comme avant et nous partagerons la nourriture dans la bonne humeur je rendrais sa femme à l’autre débile et la belle que tu aimes et qui t’aimes car tu es fort et qu’elle aime les champignons te quitteras peut-être pour aller avec un plus beau que toi et tout et tout. Ou alors, tu peux me tuer et devenir sorcier à ma place, ce ne serait pas trop mal pour toi. Mais tu ne seras le plus fort que le temps qu’un autre se sente offensé.
Ou alors.Nous pouvons tous les deux garder le secret : être sorcier et chef ; sauter des meufs et manger des poissons à la sauce champignon.

La brute réfléchit et se dit qu’en effet, lui est fort et le sorcier habile, à deux ils règneraient sans partage.
Ainsi firent-ils.

chaque jour ils amenaient des poissons « C’est dieu qui nous les a donné ! » et ne les partageaient qu’en échange de faveurs, contre des champignons, contre des beaux habits en mousse de grotte contre un joli coin de grotte contre une pipe, toutcequevousvoulez. Le sorcier et la brute étaient contents. Le système s’élabore le culte de Dieupoiscaille se raffine : ils établirent une hiérarchie dans les faveurs. Pour un poisson : un habit. Pour deux poissons : trois habits. Pour quatre poissons : une fellation. Pour une réduction sur le coût du poisson à durée indéterminé : un joli coin de grotte. Ainsi de suite.

Le temps passait le système fut appelé à se sophistiquer encore. Le sorcier et la brute en avaient un peu plein le cul d’aller à la rivière. « Ce serait quand même pas mal si quelqu’un le faisait pour nous » mais qui ? Qui pour garder le secret et sans broncher ne pas réclamer une part du magot ? Le sorcier dit L’idiot. Voilà notre homme.

Le moment de mettre une histoire dans l’histoire pour vous expliquer qui est l’idiot.

Il était un jour lorsqu’il y avait plein de champignons et que chacun faisait ce qui lui plaisait : une femme à qui l’amour plaisait, que chacun se refilait et sur qui, en gros, tout le monde était passé. Cela ne posait de problèmes à personne à vrai dire jusqu’au jour où cette femme eut le ventre plein. Plein de quelqu’un, on ne sait de qui. Personne ne voulait épouser cette femme et dire « ce ventre est plein de moi » car personne ne voulait épouser une femme qui n’était pas pleinement à soi et personne ne voulait se retrouver avec l’enfant d’un autre. Aussi l’enfant naquit sans père bientôt sans mère car elle mourut ou fut tuée (l’histoire ne le dit pas et ne pas tout dire des pourquoi, c’est le secret, pratique, d’une bonne histoire).
On avait donc un problème, pensa-t-on : un enfant qui n’était à personne. L’enfant rappelait aux femmes la trahison probable de leur mari et aux hommes qu’ils n’avaient jamais pu posséder la mère pleinement. Une solution : le battre. Se défouler et nul pour se dire que cet enfant s’il n’était à personne était peut-être le sien. L’on voit ici que les troglodytes depuis le début d’avant l’histoire étaient bien partis sur la voie de la civilisation du progrès et de l’émancipation.
Battre un enfant ne l’a jamais élevé, et, voici que le bâtard, l’enfant de personne devint l’idiot de tous.

Et le sorcier dit que l’idiot fera un très bon ramasseur de poisson. Après tout il n’avait personne à qui révéler le secret et puis c’est un idiot, si on lui dit que c’est dieu qui donne les poissons alors même que c’est lui qui ira les pêcher : il y croira.
Ainsi advint-il et ils virent que c’était bon, on pouvait toujours miser sur la bêtise des hommes.

Depuis ce jour les troglodytes obéissent au sorcier et à la brute, sont tous à leur service et s’ils se doutent qu’il y a là un secret pas joli joli, ils savent plus fort encore qu’ils ont faim.
Sans doute un jour on sortit et découvrit la rivière la supercherie le secret, mais entre-temps les fils du sorcier et de la brute s’étaient arrogé les femmes et les armes, défendirent la rivière si longtemps que tous oublièrent que cette rivière n’était à personne et donc, comme l’idiot, à tout le monde.

Sans doute a-t-on les sociétés que l’on mérite.

Mais il y a une cinquième morale : la différence entre le bon sorcier et le mauvais sorcier, c’est que le bon partage les secrets. Alors (étant entendu que nous sommes de la première catégorie) voici le secret :

Lorsque pour la première fois le sorcier mit le pied dehors, il ne découvrit pas que la rivière.
Il avait trouvé en supplément du lac, une tribu de pécheurs. Peut-être ressemblait-elle à la sienne, peut-être avait-elle aussi un bâtard qu’elle traitait, elle, dignement, peut-être était-elle économe et prévoyante, peut-être n’avait-elle à se soucier de rien car rien n’aurait su lui causer de souci ; en tout cas composée d’hommes au tempérament plus doux. L’étranger affamé fut nourri logé choyé comme un membre de la famille et notre sorcier apprit à pêcher avant d’apprendre à prêcher.
Regagnant force et malice, lui qui avait connu la pénurie et la lutte n’imaginait plus autre chose .il lui vint une idée. La rivière pourrait servir, le servir.
Et son premier décret sa première prophétie s’écrivit dans le sang des autres. Lorsque les siens n’eurent soin que d’eux-mêmes l’on se considère rarement le gardien de son frère.
Et au début de l’histoire il y avait un meurtre une confiscation et un secret pour entretenir la fable du dieu poiscaille plutôt que celle de la barbarie des sorciers.

Et sans doute le secret sera bientôt su de tous. C’est le propre des secrets : ils ne le sont jamais très longtemps, mais celui-ci le fut juste assez pour que, lorsque l’on se mit à décider à qui appartiendrait le pouvoir, il échoie systématiquement à celui qui avait hérité de la rivière. Après tout, l’on n’a rien à gagner à confier du pouvoir à l’idiot qui ne possède rien.

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