Lettre à la sœur

Ma très chère sœur,
tu seras sans doute surprise de lire ici que, moi qui ai longtemps cherché ma place, l’ai trouvée lorsque j’abandonnai la quête. Je compris finalement que, puisque toutes les places sont assignées, en être dépourvu est une amorce de liberté.

Je m’excuse de t’écrire car plus sûrement que dans une conversation, si je t’écris c’est toi que j’écris, en cela que par le simple fait que cet écrit t’est adressé et longuement médité il fait de toi un négatif.

Si à la vue de cette lettre, j’espère « tant attendue », tu t’arrêtais impatiente dans le couloir de ce qui fût notre maison à tous deux, pour la lire ; je te conseille de t’asseoir car
Je m’apprête à te dire quelque chose d’horrible.

Sache, chère sœur, que j’ai pris les armes et tué de mes mains d’homme d’autres hommes. Sache encore, chère sœur, que je m’apprête à recommencer.

Il me faut partir. Quitter pour vendre en Afrique ou à la ZAD, de quoi réduire en cendre hier et tout ce qui m’emmerde. Car ce sentiment… Il n’y a rien de plus beau sur cette terre que de sentir l’action commencer par la sueur dans le creux des paumes, puis mettre en mouvement ton corps déplacer et tordre tes jambes, déplacer et tordre tes doigts les refermer sur la gorge de ceux qui se sont montrés indignes de vivre.
Tu me diras « Nul n’est indigne de vivre ! N’était-ce le sens de tes paroles d’alors ? ». Sans doute. Mais c’est précisément au nom de la vie et de la dignité de toutes choses qu’il me faut porter le feu aux monstres qui les ont bafouillées. Car l’esclave qui se veut libre, ne peut que tuer son maître, quand bien même ils seraient le plus doux des agneaux et le plus charitable des maîtres. Au nom d’un monde meilleur, puisque les places sont assignées chacun doit jouer son rôle.
À leur mépris donnons notre haine, ce n’est pas mon édit mais eux-même qui l’ont décidés.

Je t’entends venir/te vois tressaillir ; moi aussi, longtemps je considérais ceux qui parlaient de faire la révolution : de doux enfants, un peu sots un peu romantiques, et menteurs. (Et) puis je compris que la lutte armée était une forme d’art avec ses martyrs et ses chantres pour la dépeindre, lui donner forme sens. Il suffit de cesser d’en parler comme d’une opération magique qui viendrait seule. Cesser de recourir au nom pour conjurer ce que seule l’action peut faire advenir.
Aujourd’hui je comprends que la lutte armée est le seul acte politique. nul projet ne fut porté autrement que les armes à la main. Car en effet, si le puissant dispose des médias et des discours, d’argent, un pouvoir qui tue lentement et exclut et tue plus sûrement. Je sais aujourd’hui que seuls nos corps en mouvement sont le moyen de la lutte, je sais qu’il faut être prêt à mourir pour ce nouveau monde que nous souhaitons, sinon aimer cette vie d’être inférieur.
Car nos ennemis sont désormais connus : ils avancent masqués mais à force nous distinguons à travers leurs armures communicationnelles les failles par lesquelles leur véritable nature apparaît. Le verdict ? Limpide : ils ne font pas société. Ou plutôt, nous ne sommes pas de la même société mais deux corps étrangers qui s’opposent. Nos chemins doivent se séparer, ils ont besoin de nous et nous n’avons pas besoin d’eux. Rappelons-leur. Nous les ferons marcher au pas des baïonnettes car c’est la seule chose qui les effraie. Deux mondes s’affrontent et leur arme principale consiste à nous faire croire que nous sommes les parties d’un seul, nous laisser en recherche de cohésion, nous faire croire que nous devons et voulons négocier avec eux. Nous les exclus, nous les pauvres, nous les déshérités devons leur répondre, frapper non plus pousser si ce n’est vers le précipice les démons anciens d’un système totalitaire. Ce ne sont pas les membres d’un même monde mais une puissance colonisatrice qui a fait de nous ses serviteurs.

Songeons à Persée qui frappait l’infâme.
Tout comme la démocratie s’imposa par un coup de force, il y a, à l’origine de toute nouveauté, la violence qui réclame que l’on se consume pour elle. À l’image du passé, le futur ne se construit sans sacrifice et nous étions confortablement pusillanimes lorsque nous décidions que le changement serait progressif, et atteint sans lui offrir quelques vies, dussent-elles être les nôtres.
Note ! ma sœur (j’anticipe ta gouverne) que ceux qui se disaient non-violents en procédaient. En effet, ils retournaient la violence de la répression dont ils étaient l’objet pour combattre par les images ainsi créées. L’agresseur se sentait agressé, et, étant le seul dépositaire de la violence réelle, comprenait qu’il s’agressait lui-même.
— Mais c’était leurs corps qui recevaient les coups !
— En effet, c’est par erreur ignorant la véritable nature de l’idée que nous imaginons que la pensée n’est pas violence, pourrait s’en passer. Quant à leur mode d’action : c’était une autre époque, où le monde pensait encore faire somme, où nos maîtres doutaient encore de leur pouvoir sur nos consciences.
Je joins un feuillet que je gardais près de moi, je l’ai tant lu et relu qu’il m’est inutile de le posséder tant il m’habite ; sera plus utile entre tes mains à présent.

La Fable politique

C’était un jour, les chasseurs rentraient bredouilles si ce n’était le chef qui avait attrapé le plus beau sanglier jamais vu. Aussi, y avait-il, malgré tout, de quoi manger pour tous. Et tous d’applaudir : Hourra pour notre chef ! c’est grâce à lui, ce grand homme qui sût nous nourrir en dépit du manque de gibier que nous mangerons ce soir.
Le chef n’était pas le moins fier des hommes. Aussi déclara-t-il qu’il aurait pour se récompenser une plus grande part, et si telle chance devait à nouveau lui sourire, il en ferait profiter ses lieutenants.
La tribu marquait un temps de latence et d’étonnement, Mais enfin, l’on a certes de quoi manger, mais tout juste, Par quel miracle pourrais-tu manger plus ?
Le chef alors regarde l’assemblée du peuple, son peuple pense-t-il alors, car c’est lui qui le nourrissait et son regard passant de tête en tête s’interrompt sur un tel, envers lequel il (se) sentait quelque animosité.

Si nous étions tout à fait nietzschéens nous ferions remarquer que c’était pour une histoire de femme : autrefois elle lui préféra cet homme, mais sans doute lui avait-il imposé de l’épouser Car enfin il était chef !
Et si nous étions tout à fait autocomplaisants, ajouterions qu’il avait le regard vacant et l’esprit ailleurs et que, bien que silencieux la plupart du temps (c’est qu’il ne parlait pas pour futilité) sa parole était écoutée, ce pour quoi le chef le jalousait secrètement, voyant en cet autre quelque chose dont il ne pouvait se rendre maître.

Ainsi donc, il décide que cet autre ne mangera pas afin qu’il puisse profiter d’une plus grosse part. Tous se taisent, déçus pour leur frère mais réjouis que la malchance ne leur échoit en partage.
Et le chef d’ajouter qu’il s’était mal comporté à la chasse, les autres certes avaient manqué de chance, mais lui, était mauvais chasseur, il était l’ouvrier de son funeste destin, partager avec lui serait un gâchis de ressources.

Alors, cet homme se dresse et ne se laisse faire. (Ici se situe la vérité de l’action politique.) Il tonne « Eh quoi donc! J’étais à la chasse comme toi et je participais autant que toi. Qui te dis que ce n’est pas ma présence qui rabattit le gibier en ta direction ? En outre, tu dis que nous fûmes malchanceux mais ne fût-ce pas plutôt toi qui fus chanceux quand la nécessité nous était défavorable ? La raison qui fit que tu fus seul à ramener, belle bête j’en conviens, nous est invérifiable et dès lors il nous faut partager tel nous l’avons toujours fait, car si tu m’affaiblis je ne serais que de plus en plus faible ! Punissant plus encore tu ne feras qu’affaiblir toute la tribu, car tout homme a, du moins peut, jouer son rôle. »
et le chef de rétorquer « Te voilà encore qui coupe les cheveux en quatre ! avec tes paroles saugrenues qui n’ont rien du réel ! Je vois que c’est moi le chef, et si je suis chef c’est que je suis fort ! et si je suis fort c’est que j’ai raison. » On ne pouvait dire plus saines et justes paroles.

À ce moment sans doute un prêtre eût pu intervenir pour apaiser l’un, convaincre l’autre, « C’est une épreuve envoyée par le ciel à notre chef, pour tester sa piété, partageons donc ! Soyons charitables : donnons un petit morceau au faible ».

Mais nul prêtre parmi ces sauvages
et le pauvre diable s’écrie « Rien d’abstrait à ce que je dis! je vois simplement que tu tentes de me spoiler de ma part créant futile querelle dont tu espères sortir grandit ! » À ces mots se rue sur le chef bientôt défait car se savoir être l’objet d’une injustice décuple les forces.

La tribu ensuite de trembler lorsque les parts furent réparties équitablement, tous trouvèrent que le faible avait été bien excessif pour si mince affaire, mais qu’importe! : Il était chef maintenant.

Je n’ai plus assez de papier pour te dire tout ce que je souhaiterais t’écrire, il faudra que cela suffise.
Tu te demandes sans doute comment je vis ?
Je voyage de terre en terre, sous le soleil et le ciel qui ne me regardent déambuler. en mouvement, démunis de biens matériels j’entretiens mieux mes combats et me prépare à ce monde nouveau que j’appelle et façonne d’ici. Dire que je connais le bonheur serait une grave exagération, j’exécute et conclus des pactes meurtriers. Nul ne me reconnaîtrait plus tant l’Afrique me fit ce masque de roi voyageur, assassin ou mage.
patience encore mon cœur et patience ma sœur. L’aube nouvelle percera l’horizon.

Chère sœur ne me plaint pas, je suis déjà mort. Il y a bien longtemps lorsque je pensais qu’il valait mieux être le martyr d’un monde à venir, que satisfait d’un monde dans lequel le plus grand espoir à nourrir fut que mon fils travaille au service après-vente de l’une de ses entreprises qui nous vendent ces appareils à abrutir. Je est un autre, sans doute, car conscience des temps et du monde auquel j’appartiens…ce corps je vais l’employer à avoir une action dessus dût-il, y rester pour les temps à venir, s’arrêter fiché dans le sol (enfin autochtone non parce que je fus tiré à la naissance de la terre mais parce qu’arrêté dans ma course, je me choisis un terrain à fertiliser).
Ne me pleure pas, car consacrer les maigres ressources de ce corps à l’avènement de demain me paraît un sort bien plus enviable que tout ce qu’aujourd’hui pouvait m’offrir.

Celui qui fut, avec joie, ton frère,
S1mio-mustyk

Commentaires :

  1. Régis says:

    Met-toi à la boxe !

  2. DjoLeGentil says:

    Envoyer la même lettre. Modèle.
    Cependant, n’ai pas de sœur.

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