Ode à une toxicomane

Je contemplais la plus belle créature jamais observée. Sa chair entièrement consumée par la foi s’était tant meurtrie les bras qu’elle entamaient ses jambes, sous mes yeux se contorsionnait pour atteindre le point paroxysmique de son gros orteil honorer de son dieu la substance.
Nous nous aimions, et acceptions l’un l’autre de n’être l’exclusif objet d’adoration, tout juste une confortable distraction car nous avions consacré corps et esprits à un autre, en témoignaient le papier terni et sa peau noircie.
Elle s’était donnée et plus rien ne pouvait l’en détourner trop longtemps et si elle y avait renoncé, perdant sa douceur de chiot égaré, je n’eusse aimé qu’un cadavre décomposé sa flamme perdue. Elle se consumait .et lorsque je l’étreignais je n’avais entre les bras que des cendres dont la douceur s’évanouissait venu le moment du sacrifice au point de couper l’univers entier, s’il l’eût fallu, pour atteindre l’extase.
Tout chez elle marquait l’absolue dévotion, et la croyance qui se réalise lorsqu’on lui abandonne, non la lucidité de se voir si misérable, mais sa propre vie, le temps qu’il nous reste à parcourir.
Car seuls les vrais croyants se permettent le doute : elle riait d’elle-même et de son supplice. Un corps qu’on a abandonné à la souffrance qui s’est choisie, des possédés qui se savent leur propre martyr.
Épaules et nuque fragiles, ses hanches si faibles, usées qui n’ouvriraient jamais le monde à cette fille dont j’avais retrouvé le prénom en marge d’une épavequi finira peut-être échouée dans le marécage « Judith, ça a de la gueule, elle, tuait Holopherne ». Katouchka vénérable asséchée devant laquelle je me prosternais. Lorsqu’elle n’était pas capable de se nourrir ou pas assez forte pour mâcher .je lui donnais la becquée .lorsqu’elle oubliait de s’hydrater je pressais mes lèvres contre les siennes et sentais ma vie fuir en elle… Lorsqu’elle n’avait la force de rien d’autre elle avait toujours celle de se faire un fixe

J’étais fasciné par l’adresse de sa détermination, elle perdait quelques dents et la fixité du regard, mais flottait sur ses lèvres un doux sourire. La création, l’action, ne la concernaient pas tellement, tout en elle était orienté vers ce geste, le plus civilisateur qui soit, destruction inutile dans la contemplation de l’éther et s’accepter putrescible : accidentée le matin, perdue le soir mourante ; comateuse Ophélie à la dérive l’après-midi dans les draps crépusculaires qui entouraient le moindre de ses mouvements .une aura.
Elle m’était une idole du don qu’elle faisait d’elle-même à la dévoration de son dieu, sans jamais tricher, ou alors de cette triche qui faisait partie des règles.
J’allais souvent la voir et caressais alors qu’elle sombrait dans la pesanteur.
lorsque tout la dépassait tout l’abandonnait .il lui restait sa foi ébranlée mais toujours debout, ou plutôt toujours couchée. Telle la plus rigoureuse des ascètes une pure existence entièrement dévolue à « Les Rêveries du toxicomane solitaire, anonyme, Paris, Allia, 2018 [1997] p. 12Cette mort radieuse, miracle de tous les paradis, recomposée avec une si gourmande exactitude. »Les Rêveries du toxicomane solitaire, anonyme, Paris, Allia, 2018 [1997] p. 12

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